Le thriller tunisien ASHKAL fait l’unanimité au Cinemed

Marquée par une manifestation contre Abdellatif Kechiche, la 44e édition du Cinemed (Festival cinéma méditerranéen) a, cette année encore, proposé une sélection de haute volée. Et couronné le remarquable film tunisien ASHKAL, de Youssef Chebbi.

Côté programmation, ce cru 2022 s’est révélé de haute volée, donnant à voir toute la richesse et la complexité d’un monde méditerranéen, fracturé et bouillonnant. Avec, cette année, des longs métrages de fiction particulièrement éclectiques. Toujours en prise avec les problèmes du monde, les films sélectionnés s’inscrivent dans des registres et des genres plus variés que lors des éditions précédentes : comédie noire, drames, fresques historiques, polar, avec, au sein des œuvres elles-mêmes, des ruptures de ton, et des touches d’humour s’invitant parfois jusque dans les histoires les plus sombres. Aperçu de nos trois coups de cœur.

“Ashkal”, de Youssef Chebbi

Fait rare, cette année, le jury Antigone, présidé par Rachida Brakni et Éric Cantona, et le jury presse, dont Télérama faisait partie, ont récompensé le même premier film. Polar fascinant, à la lisière du fantastique, ASHKAL déroule une enquête au cœur d’un immeuble en chantier des Jardins de Carthage, quartier de Tunis promis à un essor bourgeois, mais dont les constructions furent stoppées net après la Révolution du jasmin et la chute de Ben Ali. Dans les entrailles grises d’un des bâtiments abandonnés est retrouvé un premier corps calciné. Puis un deuxième… Début d’une épidémie d’immolations étranges, dont deux flics – Fatma et Batal -–tentent de démêler la cause, au sein d’une institution policière gangrenée par la corruption. Suicides ? Meurtres ? Pistes terroriste ou tueur isolé ?

Loin des codes de la fiction policière classique, l’investigation elle-même devient une errance nocturne, un retour obsessionnel dans des lieux déserts, carcasses à ciel ouvert filmées comme des divinités de béton, énigmes géométriques, où se perdent les personnages… Le réalisateur choisit de s’échapper du réel pour suggérer, en longs plans hypnotiques, la contagion d’une violence pure, incandescente, incompréhensible, mais habilement instrumentalisée par le pouvoir pour légitimer d’autres violences. Dans la société en transition évoquée par Youssef Chebbi, l’« épreuve du feu » , brandie comme un motif obsédant et hautement symbolique (la Révolution de jasmin a débuté par l’immolation d’un vendeur de fruit et légumes), reste pourtant, de bout en bout, nimbée d’un persistant mystère. Où se situe le mal ? Comment nait-il ? Brillante métaphore, aux interprétations multiples, ce premier film malaisant, d’une beauté sombre, et d’une maîtrise formelle étonnante, maintient une tension permanente.

En salle le 25 janvier 2023

Article Télérama du 30 Octobre 2022